Sas à Rio

Mar 24 janvier 2017
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L'homme de Rio

Ce pays a une capacité d’absorption du dollar tout simplement prodigieuse.

Un long portrait dans le New York Times, un numéro complet de la vénérable Revue des deux mondes, une notice dans Books, les recommandations d’Hubert Védrine … effervescence autour de Gérard de Villiers et de on œuvre, SAS. Près de 200 publications, intrigué par cette agitation je m’intéresse ici au n°4, Samba pour SAS, paru en 1966, façon “lecture annotée”.

La couverture

Un peu surpris par le livre reçu. Il s’agit d’une réédition avec la couverture originale. Les fameuses couvertures avec une femme dénudée sont arrivées dans les 70’s. Un florilège est disponible sur Novaplanet.
Très mauvaise édition, le nombre de coquilles est impressionnant.

SAS Édition spéciale SAS Couv 1 SAS Couv 2

Samba des langoustes

Chapitre I

Le roman commence ainsi :

La musique diaboliquement rythmée de la Samba des Langoustes s’arrêta brusquement

Cette samba revient tout au long du livre

la Samba des Langoustes. L’air à la mode. Elle fredonna à son oreille:

Est-ce que la langouste est un poisson?
Est-ce qu’elle nage ou marche au fond?
Qu’importe que je n’en sache rien,
Je n’en mangerai jamais, même un brin.

Traduction assez libre pour ne pas dire éloignée et qui évite le couplet (trouvé sur usinadeletras.com.br)

Pode faltar tudo ao brasileiro:
arroz, feijão e pão.
Mas, a lagosta é nossa,
De Gaulle não bota a mão!

Le brésilien peut manquer de tout:
riz, haricots et pains.
Mais la langouste est à nous,
De Gaulle n’y mets pas ta main !

Les paroles font référence à la Guerre des langoustes entre la France et le Brésil, un conflit autour de la pêche de ce crustacé, par des marins Français au large du Brésil. C’est lors de cette crise que l’ambassadeur du Brésil à Paris adressa au Général de Gaulle, cette formule devenue célèbre “Le Brésil n’est pas un pays sérieux” (formule attribuée à tort au général Français).

Le Brésil n’est pas un pays sérieux, sans doute ce que pensait Gérard de Villiers, mais devant le nombre de gaffes accumulées par son héros, SAS Malko, approuvait il aussi Le Brésil, ce n’est pas pour les débutants attribué à Tom Jobim.

L’action qui se déroule à Rio, n’a cependant rien à voir avec la France. Elle se concentre sur la relation Brésil - U.S.A. et spécifiquement à l’exploitation du Manganèse.

Le manganèse

Chapitre II

Le manganèse est un métal rare, noble et stratégique. Il est indispensable pour l’industrie de guerre. Sans lui pas de canons, pas de blindage, pas de porte-avions […] Le manganèse, il se trouve à près de 3 000 kilomètres d’ici, au nord de l’embouchure de l’Amazone, dans le territoire de l’Amapá, un coin charmant où on pourrit vivant tellement c’est sain. Mais il y a le plus gros tas de manganèse du monde: 30 millions de tonnes environ, un peu plus d’un milliard de dollars… [Le problème] C’est que nous sommes au Brésil… Et que ce manganèse est brésilien Mais les Brésiliens sont susceptibles comme des vieilles filles dès qu’il s’agit de leurs richesses naturelles. Pour exploiter ce foutu manganèse nous sommes obligés de fonder une société bidon américano-brésilienne qui sauve la face. Bien entendu les Brésiliens qui y appartiennent sont des hommes à nous…

Ceci fait explicitement référence à la création de la mine de Serra do Navio au milieu des années 50.

  • Serra do Navio (SN) est le résultat de la guerre froide, l’URSS contrôlant jusqu’alors les principaux gisements de manganèse, d’où l’aide des USA à la création de la SN ;
  • Toute l’infrastructure logistique et sociale de la SN a été construite sur des fonds privés. […]
  • Le manganèse étant considéré comme un produit stratégique, le gouvernement des USA s’est engagé à acheter toute la production et a garanti les prêts contractés par la SN, cas unique dans l’activité minière.

L’ Amazonie, un demi-siècle après la colonisation, Doris Sayago,Jean-François Tourrand,Marcel Bursztyn,José Augusto Drummond, 2010

L’analyse géostratégique est rapidement évacuée pour laisser place à une action plus ou moins vraisemblable, avec en fond quelques événements du Brésil des années 60, même si la récente prise du pouvoir par les militaires n’est évoquée qu’une seule fois :

Depuis la dernière révolution, ce sont les militaires qui ont le pouvoir et des soldats qui ont remplacé les agents

Barra de Tijuca

CHAPITRE III

« Barra de Tijuca », la plus belle plage au nord de Rio, s’étend sur trente kilomètres.
La « Barra de Tijuca » est célèbre à Rio comme étant le lieu de rendez-vous de toutes les femmes infidèles qui viennent y succomber au fond de voitures complice. Même en plein jour il y a toujours une bonne dizaine de voitures arrêtées le long de la route […] Quand on dit « rendez-vous à Tijuca » on sait ce que ça veut dire… Quelquefois, on voit des hommes seuls rôder la nuit ici près des voitures arrêtées le long de la mer. Ce sont des maris jaloux.

II hait les femmes. La sienne le trompe tous les jours que Dieu fait dans les voitures à la Barra de Tijuca. Ça le rend fou. C’est pour cela qu’il ne pense qu’à la politique.

Barra da Tijuca, au nord ? Pas vraiment, mais pas très grave. Elle fait partie ce qu’on appelle la zone ouest (Zona Oeste).

Brasilia

Chapitre IV

Brasilia semblait être une de ces cités Mayas abandonnées pour une cause inconnue. Pas étonnant que les diplomates préfèrent Rio.

OSS 117 à Brasilia

En 1961 Youri Gagarin, en tournée au Brésil, avait dit de Brasilia, “J’ai l’impression de débarquer sur une autre planète, pas sur la terre”

L'homme de Rio, passage à Brasilia (1964) par Philippe de Broca

La fusillade

Le sommet (précoce) du livre ?

La séance commençait tout juste. Le Président annonça les interpellations. Il y eut des hurlements sauvages quand il prononça le nom de Carala.
[…]
Carala, debout sur son banc, brandissait le poing vers ceux qui le conspuaient. Autour de lui, une poignée d’hommes aux visages farouches jetaient des regards menaçants vers leurs adversaires. L’appariteur cria le nom de Carala. Le bouillant petit Brésilien se leva de son banc. Mais aussitôt, de l’autre bout de l’hémicycle, un colosse coiffé d’un chapeau de paille fendit la foule de ses collègues et s’avança jusqu’à la tribune, suivi d’une demi-douzaine d’hommes. Il attrapa le micro d’une patte grosse comme un jambon et commença à hurler des invectives à l’égard de Carala. Malko saisit cão immundo, bandeirante, americano, et d’autres gracieusetés. L’énergumène parla près de dix minutes. Un tonnerre d’applaudissements couvrit la fin de sa harangue. Frank écoutait, tendu.

— Ça va barder, dit-il à Malko. Ce zigue-là accuse notre copain d’être vendu à l’étranger et de brader le pays…

Le géant cria encore une longue phrase et attendit appuyé au micro.

— Si José Carala monte à la tribune devant moi, je lui cloue le bec avec une balle.

Un cri sauvage jaillit de l’hémicycle.

— Me voici! hurla Carala.

Suivi de ses hommes, le petit sénateur marchait vers la tribune. Un silence de mort se fit dans la salle. Quand il fut à cinq mètres de son adversaire, Carala s’arrêta. Ses gardes du corps s’écartèrent les mains aux hanches. Carala cracha par terre, vers le grand Brésilien. Puis, il tira son Colt et attendit. Le géant ne cracha pas. Lentement, il tira de sa ceinture un énorme pistolet nickelé et en arma le chien. Dans tout l’hémicycle il y eut une série de cliquetis métalliques: les sénateurs se préparaient à la discussion. A entendre le bruit, il y en avait pas mal qui préféraient les actes aux paroles. Les deux hommes restèrent quelques instants face à face. Puis Cruz hurla:

— L’un de nous deux va disparaître de cette enceinte.

Le géant tira le premier. Son énorme pétoire fit le bruit d’un canon. La balle frôla Carala et alla frapper un huissier en pleine poitrine. D’un seul mouvement, la moitié de la salle se coucha par terre, journalistes et sénateurs compris. Le Colt cracha quatre fois. Touché à l’épaule, le géant recula de trois mètres. Il eut encore la force de viser. Sa seconde balle toucha Carala en plein front. La tête du petit Brésilien sembla se désintégrer. A dix mètres à la ronde, ses adversaires et ses partisans reçurent des débris de cervelle. José Carala tomba d’un bloc, laissant échapper son Colt. A la tribune, le géant titubait. Il leva encore son arme, tira deux fois dans le plafond et hurla:

— Viva los Estados Unidos do Brazil!

La moitié de l’hémicycle se leva d’un bloc et applaudit debout. Deux huissiers emportèrent le corps de José Carala. Soutenu par ses amis, le géant repartit. La séance fut levée dans un tumulte indescriptible.

Le passage fait référence à la mort par balle, en décembre 1963, en plein Sénat, du sénateur de l’acre José Kairala, touché par le tir du Sénateur d’Alagoas, Arnon Afonso de Farias Melo. Farias Melo visait en réalité son rival politique, également sénateur d’Alagoas, Silvestre Péricles. Farias Melo fut à peine arrêté, rapidement relâché, et ne perdit même pas son mandat.
Farias Melo est le père de Fernando Color futur président du Brésil, et sénateur d’Alagoas, contraint à la démission à la veille de son impeachment en 1992.
Alagoas, petit état du nordeste Brésilien, avait été le cadre d’une autre fusillade parlementaire en 1957.

Je résume ici le contenu du site en portugais Historia de Alagoas

Le 13 septembre 1957, un groupe de député arriva à l’Assemblée Législative d’Alagoas avec des vêtements peu adaptés au climat, à cette époque de l’année. Sous 38°, les parlementaires portait des imperméables sous lesquels ils cachaient plus ou moins des mitraillettes. Rentré sans un mot dans la chambre plénière, ils ouvrirent le feu, provoquant la réaction des députés déjà présents. La fusillade dura près de 40 minutes, et causa la mort d’un député, et différents blessés dont un journaliste carioca, témoin privilégié. Le motif de l’échange ? la demande de destitution du Gouverneur Sebastião Marinho Muniz Falcão. Les députés assaillants étaient contre la destitution, ceux déjà présent en faveur. L’armée intervint après la fin des coups de feu, sans arrestation. Le Gouverneur passa temporairement ses pouvoirs à son vice Gouverneur. Il s’éloigna à Rio, mais une fois revenu en janvier, il reprit les commandes et put terminer son mandat.

Illustration du Corriere della Sierra

Illustration du Corriere della Sierra, 1957

Le Député Antônio Gomes de Barros (armé) et Teotônio Vilela durant la fusillade

Le Député Antônio Gomes de Barros (armé) et Teotônio Vilela durant la fusillade

Le racisme

Le racisme celui du Brésil et celui de l’auteur.

« On m’a accusé de racisme mais c’est faux, j’aime l’Afrique » déclarait Gérard de Villiers à Jeune Afrique

L’Afrique peut-être, les Africaines sans doute.

— C’est bien de faire l’amour la nuit. Comme ça, vou ne voyez pas que je suis noire… Tout en la caressant, Malko se dit qu’elle avait bien tort d’avoir des complexes: son corps aurait fait rêver bien des Blanches.

Et sur le mode Lá na Bahia todo branco tem um negro na família

— Célibataire?
Le prince de Falkenhausen leva les yeux au ciel et commanda une autre vodka :
— Comment voulez-vous faire autrement dans ce pays? Les femmes sont ravissantes mais tout le monde a au moins quelques gouttes de sang noir, et cela peut revenir dans un petit- fils, ce qui siérait mal au nom de Falkenhausen. Je préfère encore mourir sans descendance.

Quid du Brésil ?

— Ce soir, avait annoncé Kurt à Malko en l’accueillant, je vais m’offrir une joie assez rare dans ce pays de sauvages: boire jusqu’à plus soif un alcool de bonne qualité en compagnie d’un homme de bien.

Alvaro Cunha

Ce manganèse est brésilien, très précisément la propriété d’un certain Alvaro Cunha. Dès douze ans, Alvaro avait compris que seuls les plus forts survivaient, dans ce pays sauvage. il n’avait jamais eu le temps d’aller à l’école. Ici au Brésil, cela ne faisait rien, mais […] il allait faire des affaires avec des gens très importants qui venaient de loin et qu’il avait honte de signer d’une croix…

Alvaro Cunha, analphabète est le quasi homonyme du leader communiste portugais, oposant à Salazar Alvaro Cunhal. Clin d’œil sarcastique de cet anti-communiste revendiqué qu’est Gérard de Villiers ?

Concernant les autres personnages : Frank Gunder, agent de la CIA, porte le nom d’un économiste anti-capitaliste, futur auteur du développement du sous développement en Amérique Latine. La belle chinoise, Lin Pao, porte le nom d’un ministre de Mao. L’instituteur Hipólito da Costa, porte le nom d’un académicien brésilien. Kurt von Falkenhausen, le cousin de Malko, porte le patronyme d’une famille de la noblesse allemande dont est issu le gouverneur militaire de la Belgique occupée pendant la seconde guerre mondiale…

Nara Leão

Ils dansèrent. Les disques avaient été remplacés par une chanteuse noire, Nara Leão, qui alternait des Sambas et des chansons lentes aux refrains déchirants de tristesse.

Nara Leão, noire ? En tout cas, bien une des chanteuses du moment. Son appartement aurait été un des foyers de la Bossa Nova.

Les nazis

— Alex von Ritersdorf est le chef, au Brésil, de l’Internationale nazie. C’est une organisation qui dispose de beaucoup d’argent et cherche à jouer de nouveau un rôle dans la politique internationale.

Si ça vous intéresse, rendez-vous sur brasil-agora.com

Les coccinelles

« A cent mètres derrière, une petite Volkswagen verte avec quatre hommes à bord démarra aussitôt. C’était facile de suivre la Chevrolet: il y avait des centaines de Volkswagen à Rio… »

Coccinelles à RIO Coccinelles à RIO

Photos non sourcées, trouvées sur les tumblr daiseas et theoldiebutgoodie.

Le prix de la vie

Le livre est rempli de meurtres et de cadavres. Raisons ? Le peu de prix accordé par les brésiliens, la foison de tueur à gages, ok … mais aussi les victimes collatérales et les ratés de la CIA qui tuent 5 personnes par erreur, et une autre de sang froid, simplement par vengeance. Bizarrement les tueurs brésiliens tuent de façon motivée…

The End

Le contexte est donc assez riche, l’intrigue en elle même patine et dans cet épisode, SAS Malko un personnage sans intérêt (comme ses coucheries).

Recommandé : l’interview gonzo de Gérard de Villiers par un journliste d’Atlantico.

et OSS 117 ?

L’autre espion made in France, OSS 117, a lui aussi eu quelques aventures littéraires à Rio ou au Brésil.

Sos Brésil pour oss 117 Dans le mille au Brésil Cavalcade Rio

Ainsi que des adaptations cinématographiques

Furia a Bahia

La dernière en date ayant une affiche assez moche

Rio ne répond plus