Je prends l’avion Brasília - São Paulo. Un vieux se trompe de fenêtre : il est assis à ma place, 9F. J’accepte donc de prendre la sienne, 9A. Je regarde, une fois assis, mon voisin 9B : il est en train de lire Comment se faire des amis et influencer les personnes, 51ème édition. Étonnement, rires étouffés, je ne me rappelle plus bien ma réaction. J’entends qu’il parle anglais avec son voisin, 9C, un Américain qui est au Brésil depuis deux mois. “Le Portugais, c’est dur parce que, por causa, c’est comme ça qu’on dit ? Por causa de la conjugaison, des o, des a … ” Oui ça s’appelle une langue. L’Américain est un mormon, il montre son badge sur sa chemise blanche. Il porte aussi un pantalon noir, une cravate grise. L’uniforme mormon. Les mormons essayent de s’implanter au Brésil, envoient des jeunes missionnaires pour convertir les Brésiliens, en commençant par les favelas (tout ceci, il ne le précise pas) . Et ces deux énergumènes, Se-faire-des-amis et le mormon, se parlent, discutent : ” Tu as lu ce livre ? C’est super comme livre.” Tu parles qu’il l’a lu ! Le Brésilien n’aime pas le soccer. L’Américain n’aime pas son football. Le Brésilien conclut : “Oui, c’est vrai, les valeurs du football US ne sont pas très chrétiennes. Je suis sûr que si Jésus était vivant il n’aimerait pas le football. ” Le mormon acquiesce. “Si Jésus était vivant” ? Moi qui aime le football (US ou pas), je ne suis pas très fort en bible, je ne suis pas très mormon, mais il me semblait que Jésus était ressuscité. L’avion atterrit. Le Brésilien doit essayer d’appliquer les leçons de son livre : il m’adresse la parole. Je suis poli. Il me tend la main. Je suis poli mais j’aimerais avoir les mains moites. J’arrive à l’esquiver à la descente de l’avion, et je récupère mes bagages. Je vais sortir… il me regarde de loin, je le regarde muet. “Tchau, Jerónimo” dit-il avec un sourire de VRP, ou plutôt de conseiller en conventions obsèques. “Tchau Connardinho!”