La Loire et la Santeria

Sam 12 juin 2010
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Que pouvait-il nous arriver de fâcheux ? Un cierge allumé devant l’autel préparait la réussite aux examens, saint Joseph veillait sur la famille, Christophe sur la voiture, Thérèse sur la santé, Victor établissait au-dessus de la commune un microclimat de la grâce et la Vierge, omnipotente dans ses multiples incarnations, assurait un joli mois de mai, une moisson abondante, le retour des conscrits, des grossesses heureuses et dispensait mille antidotes pour se faufiler sans dommages au travers des calamités du monde […] Si l’intercession n’avait rien donné, le saint était mis en quarantaine, la statue retournée face au mur comme au coin un mauvais élève. Le lendemain de la mort de papa, saint Joseph, un robuste charpentier d’albâtre qui portait son enfant d’un seul bras, contemplait ainsi le fond de sa niche.

Jean Rouaud, Les champs d’honneur, Les éditions de minuits


Je comprenais bien mieux les saints de Paula et de sa mère que les statues aux têtes ceintes d’épines de Melena. Avec les saints pas besoin de s’humilier en énumérant tous ses péchés ni de se prosterner comme devant des altesses. Quand on voulait une faveur, il suffisait de danser, de leur préparer à manger et, s’ils ne vous l’accordaient pas, de les menacer de les mettre au pain sec et à l’eau, ainsi que le faisait la mère de Paula. Pas besoin non plus de rabâcher des prières chaque soir avant de s’endormir pour éviter d’aller en enfer après cette vie. D’ailleurs, à en croire Melena, on n’était jamais sûr d’aller au ciel. À condition de n’avoir tué personne, on pouvait espérer finir au purgatoire. Avec les saints en revanche, on fixait soi-même ses conditions, et les résultats étaient tangibles.

Ivonne Lamazares, Oublier Cuba (The Sugar Island), éditions 10/18, traduit de l’Anglais (États-Unis) par Valérie Rosier.

Les champs d'honneurOssanha (Jardin botanique de Rio de Janeiro)Saint Joseph et l'enfantOublier Cuba