Info Trafic, Whatsapp et économie informelle

Dim 31 janvier 2016
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Traduction, j’espère pas trop approximative d’un article de Eden Wiedemann paru sur youpix.com.br. J’ai rajouté entre [ ] des indications pour faciliter la compréhension.

Whatsapp, la classe moyenne, et le monde underground du contenu

Je ne vois pas d’autres façon de commencer ce texte que de partager le dialogue ci-dessous, pour que vous compreniez comment j’ai connu le monde underground de la curation de contenu.

— Quelle circulation ! Branche Waze qu’on voie le meilleur chemin.
— Waze rien du tout, le truc c’est Zapzap [Whatsapp]
— Arrête d’inventer des modes, Waze c’est fait pour ça
— L’autre est mieux, regarde, dit-il en cliquant sur l’icône vert de son android

Il m’a montré un groupe Whatsapp avec plusieurs messages vocaux. À commencer à en lire certains et j’ai été transporté dans les années 80, où les chauffeurs routiers utilisaient les radios amateur pour, au moyen d’un langage propre, échanger des informations de trafic. “Attentions les hommes arrêtent tout le monde au ballon [rond-point] de Torto“, “Hep, pieds de caoutchouc [voitures], ouvrir l’œil à l’entrée de Samambaia où s’est ouvert un cratère”, “Une voiture de tourisme a fait un tour à l’entrée de la ceinture, trafic lent, toutes les voies sont bouchées, mais il y a un raccourci à la sortie de la churrascaria [restaurant grill]…” Et de nombreux autres messages d’info-trafic avec des conseils de taxis, chauffeurs de transport clandestin et autres pieds de caoutchouc. C’était la transposition de la dynamique des radios amateurs à une technologie actuelle.

— Un groupe de chauffeurs, c’est mieux que Waze car les gars connaissent les situations, ils savent ce que je veux éviter, et où et comment arriver.
— Marrant. Comment on t’a ajouté dans ce groupe ?
— J’ai payé pour entrer.
— Tu as payé ?
— Ouais, 10R$ par mois (2/3€)
— Tu payes 10R$ par mois pour avoir l’info trafic dans un groupe Whatsapp ? Mais à qui ? Comment ?
— En fait, je paye 10 R$ par mois pour avoir accès à 4 groupes que je choisis. Regarde je fais partis du groupe “Bandas Sertanejas” (country brésilienne) - j’ai compris ensuite que c’était une agrégation de clips et de musiques de nouveaux groupes Sertanejo, “Fora PT” - un groupe avec uniquement des images, des informations et des videos contre le Parti des Travailleurs [parti de la présidente Dilma Roussef] (avec des vidéos bien agressives de “colonels de l’armée” et d’autres personnalités dont l’identité réelle peut être mise en doute), d’humour et d’info-trafic.
— Et comment tu payes ?
— Je fait un virement sur le compte du propriétaire des groupes, et j’envoie le justificatif sur le Zapzap directement.
— Propriétaires des groupes ?
— Oui, il en a déjà 400, tous pleins.

Si vous arrivez ici je pense que vous comprendrez ma surprise et mon admiration. J’ai eu besoin d’un petit travail d’enquête pour remonter au Galego (le blond), comme on appelle celui qui à l’époque avait plus de 500 groupes Whatsapp, la plupart avec des limites de 100 utilisateurs, facturant, d’après ce que j’ai pu rechercher, quelques choses autour de 15000 R$ par mois (+/- 3500€) . Et ce, il y a des mois, aujourd’hui, peut-être bien, bien plus. Un immense univers underground, complètement en dehors du radar des utilisateurs intensifs et leaders d’opinion du web et de la curation de contenu !

Il ne veut pas avoir son nom divulgué. Pourquoi ce refus de visibilité ? réponse directe, “pour ne pas éveiller la convoitise.” Selon-lui les groupes grandissent sur la base du bouche à oreille et chaque jour, il reçoit des demandes d’adhésion et même des demandes de créations de groupes spécialisés, comme ça a été le cas pour le groupe Musique Gospel.

La plupart de ses clients, d’après ce que j’ai pu observer, sont des personnes simples, disposées à payer pour que quelqu’un face la curation/tri de contenu les intéressant ou bien administre un espace où elles puissent discuter de sujets qu’elles aiment. Le travail du Galego, qui dit avoir deux assistants, est en gros de fouiller le contenu du web et des centaines d’autres groupes dont il fait partie, pour le partager dans le réseau qu’il a créé. Il prend en plus le soin de réduire la taille des fichiers, ce qu’il a été obliger d’apprendre , pour “faciliter la vie de ceux qui n’ont pas de bon forfait data”.

Le plus impressionnant c’est qu’alors que les utilisateurs de Netflix - qui possède du contenu original qui coûte des millions, des filmes, des dessins animés, et bien plus encore - protestent dés que le prix augmente de quelques Reais, les clients du Galego payent 10 R$ pour un contenu qui, s’ils avaient le temps, ou s’ils remontaient aux sources, pourrait être gratuit.

Le client paye pour que quelqu’un facilite sa vie, lui propose une meilleur expérience dans la consommation de contenu, quelqu’un qui a la manie de la découverte de nouvelles musiques, personnages comiques ou de vidéos qui vont sortir de son smartphone avec à peine un “partager”.

Envie d’entreprendre, économie collaborative, adaptation au réel, débrouille brésilienne et bien plus.

Une confirmation qu’il n’y a pas de lieu certains et que les opportunités existent, à coté de nous, et ne nécessitent pas des milliards de R$ pour se concrétiser. Parfois il suffit d’une personne suffisamment attentive pour percevoir une demande masquée et créative (ou audacieuse) pour croire qu’il puisse la résoudre avec ce qu’il a sous la main.

Le Galego fait partie de ces personnes.

Le Galego, d’après ce que j’ai compris, vendait des CDs pirates sur le marché des importateurs, dans le District Federal (État de Brasília) avant d’avoir “l’idée”. La personne qui m’a servi d’intermédiaire pour que je puisse lui parler (sans qu’il le confirme) est qu’il a eu sa révélation après que de nombreuses personnes lui ont demandé des CDs avec “ces vidéos marrantes qui tournent sur zapzap“. Je ne connais pas toute la dynamique mais j’imagine que cela vaut la peine de maintenir de nombreux groupes avec une 20aine de thèmes différents pour quelqu’un de travailleur qui vivait en fuyant les contrôles et qui aujourd’hui gagnent 15 000 R$ par mois.

Après la publication de cet article sur Facebook sont apparus des témoignages de personnes qui font la même chose et gagneraient bien plus.

L’illustration de l’index est issu de techpoint.ng