(A)symétrie

Mar 11 janvier 2011
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Faible que j’étais, je cherchais des exemples de faiblesse, afin de m’encourager. Camoëns n’avait-il pas aimé dans les Indes une esclave noire de Barbarie, et moi, ne pouvais-je pas en Amérique offrir des hommages à deux jeunes sultanes jonquilles ? Camoëns n’avait-il pas adressé des Endechas, ou des stances, à Barbaru escrava ? Ne lui avait-il pas dit :

Aquella captiva
Que me tem captivo,
Porque nella vivo,
Já naõ quer que viva.
Eu nunqua vi rosa,
Em suaves mólhos,
Que para meus olhos
Fosse mais formosa.
Pretidaõ de amor,
Taõ doce a figura,
Que a neve lhe jura
Que trocára a còr.
Léda mansidaõ,
Que o siso acompanha :
Bem parece estranha,
Mas Barbara naõ.

« Cette captive qui me tient captif, parce que je vis en elle, n’épargne pas ma vie. Jamais rose, dans de suaves bouquets, ne fut à mes yeux plus charmante … … … … … … … …

« Sa chevelure noire inspire l’amour ; sa figure est si douce que la neige a envie de changer de couleur avec elle ; sa gaieté est accompagnée de réserve : c’est une étrangère ; une barbare, non. »

François-René de Chateaubriand citant Camões dans les Mémoires d’Outres Tombes. Ce poème est récité en Français et en Portugais par Jean Rouch et Manoel de Oliveira dans le documentaire En Une Poignée de Mains Amies.


«Ô cerveaux enfantins!

Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l’échelle fatale,
Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché:

La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût;
L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égout;

Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote;
La fête qu’assaisonne et parfume le sang;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant;

Plusieurs religions semblables à la nôtre,
Toutes escaladant le ciel; la Sainteté,
Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
Dans les clous et le crin cherchant la volupté;

L’Humanité bavarde, ivre de son génie,
Et, folle maintenant comme elle était jadis,
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie:
«Ô mon semblable, mon maître, je te maudis!»

Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Et se réfugiant dans l’opium immense!
— Tel est du globe entier l’éternel bulletin.»

Charles Baudelaire, extrait du poème Le Voyage dans les Fleurs du Mal.